La 56ème édition du festival de Carthage a offert à son public, mercredi 10 août, une soirée exceptionnelle animée par le musicien irakien Naseer Shamma, chantre du oud (luth) arabe qui a ranimé la flamme de la musique iraquienne éteinte durant plusieurs décennies. En compagnie de Peace Builders, il a enchanté les mélomanes avec une palette de pièces musicales instrumentales dédiées à la paix dans le monde.
Programmé une soirée de musique instrumentale à Carthage est un pari risqué car ce genre pouvait ne pas attirer les spectateurs. Or, ces derniers étaient présents en nombre et avaient suivi avec recueillement de bout à bout le spectacle. A près de 60 ans, le disciple de Mounir Bachir, grand prêtre du oud irakien aujourd’hui disparu, a encore du nouveau et de la bonne musique pour émerveiller les spectateurs présents.
L’orchestre qui l’accompagnait est composé d’instrumentistes de différentes nationalités : tunisiens, irakiens, iraniens, égyptiens, pakistanais, américains, européens. Outre le oud, on retrouve le santour (sorte de cithare), ces instruments historiques datent de 2000 ans avant Jésus-Christ. Aux côtés de ces instruments, il y a la présence d’autres plus modernes : saxo, guitare, violon, piano, batterie, tambour. Une belle fusion pour une musique qui puise ses racines dans le riche répertoire de la musique arabe.
Durant deux heures, Naseer Shamma a interprété des pièces inspirées des villes et sites historiques et archéologiques qu’il a visités ces dernières années. Variant les compositions et les styles et alternant les rythmes, le maitre du oud natif de Kout, ville du sud-est de l’Irak où est enterré le poète El Moutanabi, convoque tous les instruments pour raconter ses pérégrinations à travers des lieux magiques classés au patrimoine mondial tels que les Jardins suspendus, une des plus belles merveilles su monde ou encore la plus ancienne citadelle d’Erbil en Irak, Akka en Palestine et Carthage.
Naseer Shamma, ambassadeur des Nations Unis pour la paix, transcende toutes les cultures du Moyen-Orient et réalise un métissage en direct où se rencontre le flamenco, la musique indienne en mode pakistanais et la musique classique arabe. « Nous prenons la route de la soie » résume le musicien. Cette démarche remonte à 1996 lorsque Shamma invitait son complice pakistanias Ashraf Shariff Khan à partager la scène lors d’un concert présenté à Tunis.
Au cours du concert de Carthage, le oudiste a joué pour la première fois plusieurs compositions originales rehaussées par des dialogues improvisées entre solistes. Maqâms et ragas comportent plusieurs éléments similaires propice à l’improvisation sans oublier le flamenco proche de ces structures musicales. Le programme comprenait des musiques tunisiennes comme les chansons de Hédi Jouini : « Lamouni li Gharoumini » et « Taht el Yasmina », l’hymne national tunisien et une longue ode à Carthage ainsi que des refrains connus du patrimoine musical libanais et irakiens et une chanson de la diva Oum Kalthoum « Alf lila », l’une de ses meilleures chansons qu’elle a présentée avec brio lors de son concert en Tunisie.
Le public ravi chantait à tue tête et réservait à la fin du spectacle une longue ovation à celui qui n’a cessé de s’ouvrir au monde en modernisant sa musique et ses techniques de jeu. « Je suis heureux de vous faire plaisir. La Tunisie reste un modèle dans le monde. J’espère que demain sera meilleur » a conclu Naseer Shamma sous les applaudissements nourris de l’assistance.