En toute évidence, les chansons tunisiennes anciennes n’ont pas résisté à la déferlante des actualités musicales, oubliées pour n’avoir pas été entretenues, revisitées et vivifiées par les programmateurs télé, radio et autres médias influents. L’air du temps semble les avoir oubliées.
Devant cet état de disparition, les artistes de bonne volonté et le comité directeur de la 56e session du Festival de Carthage ont programmé vendredi 22 une soirée spéciale intitulée « Angham fi dhekra », (Chants mémorables), dédiée aux auteurs, aux compositeurs et aux chanteurs qui ont fait la gloire de la chanson tunisienne. Le compositeur Abderrahmen Ayadi a pris la tâche en mains, il a longuement fouillé dans la mémoire de la chanson, déterrant les archives et sélectionnant ce qui lui paraissait évident à montrer. Un travail de sauvetage et de reconnaissance ? De toute façon ça y ressemble. Mme Hayet Guettat Guermazi, ministre des Affaires culturelles, présente à Carthage l’a relevé lors d’une courte cérémonie honorant les artistes.
« Chansons mémorables » résume des décennies de l’histoire de la chanson et des créateurs, compositeurs, paroliers et chanteurs, des airs comme une ritournelle ont fusé sur la scène et sur les gradins, entraînant un public de générations différentes qui a apparemment oublié son passé. Ambiance.
Les figures tutélaires qui ont été honorés, dont on serine souvent les œuvres mais que peu de gens connaissent les visages ont, tour à tour complimenté le maestro Abderrahman Ayadi pour cette louable initiative, les bâtisseurs, manifestement heureux, sont montés sur scène, le parolier Ahmed Zaouia, qui, du haut de ses 90 ans, bon pied, bon œil, a écrit pas moins de six cent quarante chansons, le compositeur au long cours Ahmed Ridha, un symbole à lui seul, qui a à son actif plus de 500 chansons. La chanteuse Soulef, encore alerte a même chanté un de ses tubes, repris avec enchantement par le public, elle sera suivie de Mohsen Erraïs, qui a fait les beaux jours des années 60 et 70, bien conservé, en veste pailletée de jeune chanteur, quand au fameux violoniste, Bechir Esselmi digne successeur de Ridha Kali, il a regretté la « progressive disparition de la chanson soignée et authentique », et a chaudement salué l’initiative de « Chansons mémorables ».
Après les remerciements d’usage, les encouragements des instrumentistes de l’orchestre Abderrahmen Ayadi a joué une pièce instrumentale composée pour la circonstance, son titre à lui seul désigne le dédicataire : « Carthage 56 ».
Pour honorer la chanson tunisienne, il n’ ya pas mieux que de la chanter, aussi des artistes triés sur le volet ont redonné gloire et éclat aux vieux tubes, Slim Dammak qui s’est éclipsé de la scène près de dix ans a chanté « Tâali » paroles de Jâafar Majed, composition de Mohamed Ridha et « Manhibbich la Foudha oula Dhab » ( Je n’aime ni argent ni or) de Oulaya sur des paroles Mohamed Lajmi et une composition de Mohamed Ridha. Olfa Ben Romdhane a chanté « La ya Sidi » de Soulef , paroles de Hédi Besbès et composition de Mohamed Ridha, et elle entonne « Ya hlili Way » de Ridha Khouini et composition de Abdeaziz Ben Abdallah. Le public a revisité l’inoubliable rossignol , Youssef Temimi, à qui Chokri Omar Hannachi a rendu hommage avec deux morceaux : « Bin El khmaïl » et « Yasmine ou fel » paroles de Ahmed Ezzaoui et composition de Chedli Anouar. Pour sa part, Asma Bn Ahmed a repris « Lakitha Khazritli » du chanteur Saber Erbaii , composée par Mohamed Ridha sur des paroles de Hssen Mahnouch, suivie d’une chanson de Soulef « Ridi El Ghali » composé par Mohamed Jaziri sur des paroles de Ahmed Hariri. Bechir Essalmi, au mieux de sa forme a joué « Wa Hayati ndak » la célèbre chanson de la regrettée Dhikra Mohamed et « Zarzis « de Ridha Kalaï qui a enflammé le public. Le jeune Ahmed Rebaï, a repris « Mâana il jamal » devant Soulef qui l’a longtemps chantée, il a continué avec une chanson de Zouheira Salem « Inta Habib el Omr ». quant à Molka Charni, une jeune d’à peine 16 ans, elle a repris deux chanson de Soulef « Matfakker ness » et « Wallah mani taïba ».
Nouredine El Béji, en tenue traditionnelle a clôt la soirée avec des chansons de Youssef Temimi « Aämel Mârouf » ( paroles d’Ahme Ezzaouia et compostion de Hechmi Ben Salah) ; enfin, « Lila ouel Mizoued Khaddem » de Hédi Habouba pour faire participer et danser le public met fin au programme sur les airs endiablés du Mezoued.
De cette soirée mémorable, Abderrahmen Ayadi dira devant les journalistes « J’espère que suite à ce succès, les décideurs de tous bords prendront en compte le désir du public et programmeront notre spectacle ». Bechir Esselmi, un peu amer, enfonce le clou « Tout de même, il faudra que les choses changent, oublions la médiocrité qui sévit sur nos ondes radios et écoutons la belle chanson bien élaborée ».